J'habite une blessure sacrée
j'habite des ancêtres imaginaires
j'habite un vouloir obscur
j'habite un long silence
j'habite une soif irrémédiableExtrait de « Calendrier lagunaire », Moi, laminaire - Aimé Césaire (1982)
ESCLAVES ET ENGAGES DE L'HABITATION DE BEL-AIR
Les sources sont rares les concernant mais pas inexistantes
1. Le recensement des esclaves affranchis en 1848 réalisé par Gilles Gérard, anthropologue et historien
https://famille-esclave.pagesperso-orange.fr/CONTENU/Stesuzanne.pdf<br>
3. L'adjudication des biens de Camille Jurien après son décès en 1879 (Archives familiales de Christel et Auguste DE VILLELE)
2. L'inventaire des biens de Joseph Desbassayns après son décès en 1850
Archives familiales de Christel et Auguste DE VILLELE
4. Le recensement des décès survenus sur l'habitation de Bel-Air de 1850 à 1878, par Christian FONTAINE pour le Mémorial Camille Jurien
358 esclaves sont recensés sur l'établissement de Joseph Desbassayns avant 1848
Leur origine est diverse
Le recensement classe les esclaves dans quatre catégories: "créoles", "cafres", "malgaches" et "malais".
Les "créoles", les plus nombreux, sont au nombre de 154;
les "cafres" ou "cafrines", au nombre de 148; les "malgaches", sont 42 et les "malais" sont 7 à travailler sur l'habitation de Bel-Air.
Les "marrons" sont classés à part: ils sont 6 et ont quitté l'habitation depuis plus de 20 ans.
Les noms des esclaves
Les "marrons" n'ont pas de patronyme, comme d'ailleurs les "cafres" ou "cafrines". Seuls les "créoles" ont un prénom et un nom de famille.
Ce sont majoritairement des hommes
Les femmes ne représentent que 20% de la population esclave de l'établissement.
Leur age
Il varie de 1 à 76 ans. Quinze enfants de moins de 5 ans apparaissent sur les listes d'esclaves de l'établissement .
Leurs tâches
Elles sont multiples. La plupart d'entre eux cultivent la canne à sucre; certains sont ouvriers à l'usine à sucre de l'établissement; d'autres sont aussi artisans ou domestiques. Comme dans d'autres établissements, on peut supposer qu'Ils travaillent du lever au tomber du soleil tous les jours sauf le dimanche.
Considérés comme des biens meubles, leur existence, jusqu'en 1848, est régie par le "Code
Noir"
Celui-ci donne à leur maître quatre obligations majeures: les christianiser, les nourrir, les vêtir et les contraindre à vivre en esclaves dans les limites de son habitation.
Le Code Noir
Les 54 articles de ce code, signé par Louis XV en septembre 1724, concernent spécifiquement l'Ile de France et Bourbon; ils y définissent les règles de fonctionnement du système esclavagiste .
On découvre en les lisant ce qui fait de l'esclavage un crime contre l'humanité.
Parmi les articles les plus choquants, on note:
ART. II. Interdisons tout exercice d'autre religion que de la catholique, apostolique et romaine [...]
ART V. Défendons à tous nos sujets blancs, de l'un et de l'autre sexe, de contracter mariage avec les Noirs [...]
ART VIII. Les enfants qui naîtront des mariages entre les esclaves, seront esclaves et appartiendront aux maîtres des femmes esclaves [...]
ART. XXI. Déclarons les esclaves ne pouvoir rien avoir qui ne soit à leurs maîtres [...]
ART. XXXI. L'esclave fugitif qui aura été en fuite pendant un mois, à compter du jour que son maître l'aura dénoncé à la justice, aura les oreilles coupées, et sera marqué d'une fleur-de-lys sur une épaule ; et s'il récidive pendant un autre mois, à compter pareillement du jour de la dénonciation, il aura le jarret coupé et il sera marqué d'une fleur-de-lys sur l'épaule, et la troisième il sera puni de mort.
ART. XLI. voulons que [...] la condition des esclaves soit réglée en toutes affaires comme celles des autres choses mobiliaires.
En 1826 une deuxième édition du code entre en vigueur
les articles les plus choquants persistent avec quelques assouplissements...
Mariages
Les "noirs libres" ont le droit d'épouser leur esclave et de l'affranchir de cette façon avec ses enfants.
Mutilation des esclaves
Elle est désormais interdite
Familles esclaves
ne peuvent plus être séparées si parents et enfants impubères appartiennent au même maître
En 1848, l'esclavage et le code noir sont abolis
Beaucoup d'affranchis préfèrent quitter les lieux où ils ont vécus esclaves.
On peut estimer que l'établissement de Joseph Desbassayns perd ainsi les deux tiers de ses affranchis dès 1848, ils seront remplacés par des engagés sous contrat.
Engagés et nouveaux affranchis en 1850
En 1850, à la mort de son père, Joseph Desbassayns, Camille Jurien se retrouve à la tête de l'établissement de Bel-Air qui emploie désormais 396 personnes, engagées ou nouvellement affranchies.
Les engagés
Ils sont 200 sur l'établissement de Bel-Air, parmi lesquels il y a 14 femmes et 24 enfants, tous originaires d'Inde.
Ils sont liés par un contrat de 5 ans à l'établissement et leur contrat d'engagement est un "bien" dont Camille Jurien hérite en 1850.
En général, seul le patronyme de l'engagé apparaît dans les listes figurant dans l'inventaire de 1850 ; comme les esclaves avant eux, leur nom est parfois assorti d'un numéro; on trouve ainsi un "Ajugapene deuxième" ou un" Ramassamy cinquième". Par ailleurs, chaque engagé est identifié par un numéro d'immatriculation.
Ces 200 indiens ont étés engagés a des dates différentes, dès le premier trimestre 1849, et ensuite selon les besoins de l'exploitation. Ils sont affectés à la culture de la canne mais ils ne perçoivent pas tous le même salaire. Les hommes perçoivent 12 à 10 francs par mois, les enfants ou "payas" 7 francs 20 centimes. Quant aux femmes elles ne perçoivent que 7 francs, c'est à dire moins que les enfants.
L'inventaire des engagés indiens se termine par cette observation, qui en dit long sur leurs conditions de vie difficiles, "que d'après les livres de l'établissement il résulte qu'il devrait exister 214 Indiens attachés à la canne au lieu des 201 ci-dessus nommés. que sur les 13 qui manquent, 6 sont morts depuis leur arrivée. Que les 7 autres trouvés trop faibles ou impropres aux travaux de l'habitation ont été cédés à des conditions avantageuses ainsi qu'il est établi par les livres."
.Note- les 85 engagés de 1849 peuvent en principe partir dès 1853. Les autres sont susceptibles de quitter l'établissement un à deux ans plus tard. On devine alors le sentiment d'urgence qui habite Camille Jurien lorsqu'elle se rend à Zanzibar, en 1858, pour y trouver de la main d'oeuvre.
Les nouveaux affranchis
Leurs noms ne figurent pas dans l'inventaire des biens de Joseph Desbassayns car ils ne sont plus la propriété de leur employeur. Pour la même raison, ils ne figurent pas dans l'adjudication des biens de Camille Jurien en 1879.
Cependant, l'inventaire de 1850 consacre un paragraphe aux "engagés et nouveaux affranchis" sans les nommer. Ils sont au nombre de 196. " Ils sont
divisés en 3 catégories : la 1e catégorie à 7 F 50 par mois; la 2e, 5F 50 c par mois; la 3e, 2 F 50 c", ce qui est inférieur aux gages des engagés indiens, mais l'inventaire précise à leur sujet, qu'ils jouissent de certains avantages:
"A l'époque de la coupe les gages sont augmentés d'un franc cinquante centimes par mois pour ceux des engagés qui sont employés à la fabrication du sucre. Il est observé à l'égard des catégories ci-dessus désignés qu'ils ne sont point fixes en ce sens que l'engagé a le droit d'en changer s'il déscoi devant un travail plus ou moins difficile et à l'égard des montants des gages que les commandeurs en chefs et domestiques sont engagés à un prix plus cher".
Le logement des engagés
En croisant les informations contenues dans les deux inventaires dont nous disposons et le plan cadastral actuel, le Mémorial Camille Jurien, avec l'aide de Patrice Rivière, a pu reconstituer le plan de l'habitation de Bel-Air et identifier les logements d'engagés en 1850 puis en 1879.
En 1850, selon l'inventaire des biens de Joseph Desbassayns, aucun bâtiment n'est identifié comme hébergement destiné aux engagés au coeur de l'habitation. On peut supposer que ces nouveaux venus logent dans des paillottes désertées par les esclaves récemment affranchis, disséminées à sa périphérie.
En 1879, après le décès de Camille Jurien, en revanche, on note que les engagés sont logés dans une longère en torchis (17) ou kalbanon au coeur de l'habitation qui porte désormais le nom de "Sainte Marie de Bel-Air" et dans une autre longère en pierres et tuiles sur le site de l'usine (21). Un autre logement (18), en bois, ancienne maison du régisseur selon l'inventaire de 1850, est désormais réservé aux "ouvriers", peut-être en référence aux employés saisonniers de l'usine toute proche. Enfin, les domestiques occupent une case en torchis proche de la maison de maître.
Note- Le kalbanon dont les vestiges figurent sur le cadastre actuel (longère en jaune sur le plan de l'usine de Sainte-Marie de Bel-Air) date vraisemblablement d'une période ultérieure à 1879.